“We Got It From Here… Thank You 4 Your Service” le dernier coup de crayon à l’oeuvre gigantesque de A Tribe Called Quest .
En signant un dernier disque joyeux qui a su préserver la patte du groupe sans sombrer dans la nostalgie malgré la mort de Phiphe Dawg, A Tribe Called Quest réussit ce retour inattendu.
Difficile de s’épancher sur un groupe aussi important et influent pour toute une génération. Très difficile aussi de le retrouver 18 ans après son dernier album, le sirupeux The Love Movement (1998). Un peu comme retrouver un vieil ami après des lustres. Les premiers échanges sont hésitants.
Membre éminent de la Native Tongue (De la Soul, Jungle Brothers, Queen Latifah…) au mitan des années 80 et 90, A Tribe Called Quest et son hit “Can I Kick It ?” publiait une poignée d’ albums majeurs dans l’histoire du hip-hop avant d’exploser pour querelles internes.
Si chacun a bossé sur des albums solo durant cette période, la magie n’a jamais vraiment totalement opéré pour Q-Tip et Phiphe Dawg, les deux principaux artisans du son ATCQ. Il aura fallu la maladie du second, condamné par les complications d’un diabète, pour que les brouilles s’effacent et que tout le monde se retrouve en studio (avec Jarobi White et Ali Shaheed Muhammad) malgré une reformation live en 2006.
Totalement enregistré chez Q-Tip (qui joue de tous les instruments) dans le New-Jersey, “We Got It From Here… Thank You 4 Your Service” aura malheureusement eu raison – en partie – de la santé fragile de Phiphe Dawg, tragiquement décédé en mars dernier. Déterminé à enregistrer l’ultime oeuvre du groupe, le MC n’a pas hésité à faire les allers-retours depuis la Californie pour rapper sur place avec son crew.
Une genèse à la fois triste et belle qui pèse lourd sur les épaules d’un disque au symbole fort. Et là où récemment David Bowie ou Leonard Cohen ont livré des testaments poignants, les New-Yorkais ont opté pour la joie et la célébration du “fun” qui a toujours caractérisé ce groupe. Pour ce faire, ATCQ a convoqué le vieux compagnon Busta Rhymes (déchaîné comme jamais), les sensations Kendrick Lamar et Anderson Paak, des grands noms du rap (André 3000, Kanye West, Talib Kwali) voire même des stars mondiales (Elton John au piano, Jack White à la guitare).
Bordélique au premier abord avec ses samples osés mais audacieux de Can, Black Sabbath ou des Nairobi Sisters, “We Got It From Here…” prend pourtant des allures de tour de force au fil des écoutes : proposer un rap intègre, varié aux sonorités rappelant leurs chefs d’oeuvre des années 90 sans sonner daté. En conciliant passé et présent, le disque y perd peut-être parfois en cohérence et les cimes qu’étaient ‘The Low End Theory” et “Midnight Marauders” ne sont pas atteintes mais il est loin de faire pâle figure dans la discographie du groupe.
L’inaugural “The Space Program” semble surgir de 1993 avec cette si fameuse alchimie des deux MC’s, le rap énervé de Q-Tip fait plaisir sur “We The People“, le flow de Phiphe Dawg est si cool sur “Enough!!” et les invités font honneur. Busta Rhymes (“Dis Generation”), André 3000 (“Kids”) ou Kendrick Lamar avec sa fougue habituelle (“Conrad Tokyo”) n’étaient pas là pour des featuring tarifés.
En bons parrains, ils rendent même hommage à ce qui se fait de mieux dans la relève contemporaine (Kendrick Lamar, Joey Bada$$, Earl Sweatshirt, J. Cole) via Q-tip sur “Dis Generation” avec ces mots : “Gatekeepers of flow/They are extensions of instinctual soul/It’s the highest in commodity grade/And you could get it today!”. Un passage de flambeau de bon goût pas vraiment étonnant de leur part. Et la voix de Phiphe Dawg comme un mantra dans le final “The Donald” fera office d’élégie.
A Tribe Called Quest – car il faudra désormais en parler au passé – était donc vraiment un groupe spécial. Car quoi de plus difficile que de rester pertinent après tant d’années d’absence dans un style musical en perpétuelle mutation ?
“We Got It From Here… Thank You 4 Your Service” – date de sortie 18 novembre 2016 chez Epic (Sony Music).
By @manzeeee