Rencontrer Jay Jay Johanson est toujours un grand plaisir. Lors de son dernier passage à Paris, le crooner suédois nous a longuement parlé de ses chansons favorites.

MusiK Please : Quel est le dernier morceau que tu viens tout juste d’écouter ?
Jay Jay Johanson : Ecouter de la musique est pour moi une activité périodique. Quand je suis en train d’écrire, je n’en écoute pas car je suis complétement concentré par ce que je fais. Ce matin, j’écoutais les idées de beats et de sons que j’expérimente pour mon prochain disque. Sinon, il y a quelques jours j’ai écouté les derniers titres que Frank Ocean a partagés. Je trouve qu’il fait un travail formidable. En général, je préfère écouter les génies du passé, mais il est l’un des rares artistes contemporains à faire des choses riches et généreuses.
Une chanson qui te rappelle ton enfance ou adolescence ?
Jay Jay Johanson : Le disque qui a marqué mon enfance est le premier album de Kiss qui est sorti en 1974. D’ailleurs, c’est le premier album que j’ai décidé d’acheter. J’étais fan de hard rock à l’époque et je les aimais car ils ressemblaient à des super héros.
Puis à l’adolescence, quand j’ai découvert qui j’étais vraiment, je me suis rapproché de Brian Eno et David Sylvian. Au travers de ces deux artistes, j’ai découvert la musique japonaise et orientale. Eno était inspiré à la fois par le glam rock et l’ambiant, deux styles complétement différents. A cette époque, je partais tous les étés à Londres en bateau. C’était au début des années 80. J’écoutais la scène néo-romantique, la scène gothique avec The Cure, Joy Division et bien sûr David Bowie. Je me plongeais dans les charts, je lisais le NME et Melody Maker toutes les semaines. J’étais un ado très curieux, j’ai également découvert le Velvet Underground et Andy Warhol. Mais à cette époque la scène française n’existait pas pour moi, je ne lisais rien dans les magazines à ce sujet.
Un titre qui te donne la chair de poule ?
Jay Jay : Je me rappelle très bien mon premier concert à Marseille. Tout le public était habillé en noir et je ne comprenais pas pourquoi. On m’a alors expliqué que Barbara venait juste de mourir. Je ne savais pas qui elle était, mais quand on m’a fait écouter L’aigle noir, j’ai pris une énorme claque. Pourtant, à l’époque je ne comprenais pas les paroles, je ne savais pas pourquoi elle avait écrit ça. Mais je trouvais la chanson tellement puissante que j’en ai encore la chair de poule rien que d’en parler.
La chanson que tu as écrite dont tu es le plus fier ?
Jay Jay : Je pense que la plupart des artiste te diront que c’est la prochaine chanson qu’ils vont écrire. Il y a quelques jours, nous nous sommes réunis avec mon groupe pour établir la setlist de ce soir. Ce qu’il en est ressorti, c’est que je veux jouer les chansons qui ont le plus de sens pour moi, pas celles qui ont le plus de succès. Parce que si une routine s’installe, le public va le ressentir. Par exemple, Far Away qui est sorti sur mon troisième album, n’a pas été un single, personne n’y a trop prêté attention à sa sortie. Pourtant, petit à petit elle est devenue la chanson préférée de beaucoup de fans. Alors bien sûr, nous allons la jouer ce soir…
Tout le monde a cru que j’avais été inspiré par Nature Boy – une chanson que Eden Ahbez a écrit pour Nat King Cole – mais pas du tout. Mais en fait, ma source d’inspiration pour Far Away est Shipbuilding de Elvis Costello. C’est une superbe réflexion sociale sur le Royaume Uni lors de la guerre des Malouines en 1982. Avec un certain Chet Baker à la trompette…
Encore quelques mots sur Far Away. J’ai réalisé une intro électro qui au départ faisait partie de la chanson et que j’ai finalement séparé, c’est le titre 75.07.05. Le thème était à l’origine un sample de Ryuichi Sakamoto tiré de son premier album, quand il lit un poème de Mao Tse-Tung via un vocoder. Il s’est avéré finalement que c’était trop compliqué de l’utiliser par rapport aux droits. Aussi, j’ai écrit en anglais des paroles qui ressemblaient un peu au poème chinois et nous avons utilisé un vocoder pour l’enregistrer avec Robin Guthrie.
Ce qui m’en vient donc à parler du titre de cette intro de Far Away. Le 5 juillet 1975 est une date très importante pour moi : C’est le jour où enfin un homme noir a gagné Wimbledon. Tout le monde était fan de Bjorn Borg à cette époque, mais moi j’admirais Arthur Ashe, car il avait un jeu très élégant et c’était le seul noir à évoluer dans ce sport de blancs. Je n’avais que 6 ans à l’époque, mais j’étais tellement heureux ce 5 juillet 1975 quand il a gagné Wimbledon. Le lien avec Far Away c’est qu’a l’époque où j’enregistrais Poison, les sœurs Williams s’affrontaient en finale de l’US Open et cela m’a rappelé la victoire de Ashe à Wimbledon. Tu l’as compris, Far Away est un titre très important pour moi. Je pourrais écrire un livre dessus.
La chanson que tu aurais aimé écrire ?
Jay Jay : Probablement Suicide Is Painless tiré de la série Mash, que j’ai commencer à suivre quand j’étais enfant. C’est une série comique qui parle du quotidien de médecins américains pendant la guerre de Corée. Et donc, il y a cette chanson Suicide Is Painless de John Mandel que j’ai reprise pour mon album Spellbound. Je ne suis pas un gros amateur de covers, mais j’ai fait une entorse cette fois ci, car c’est la meilleure chanson que je connaisse.
Un grand merci à Ivica pour son aide.