Artiste strictly hip-hop, fiable et régulier, Flynt n’est plus à présenter aux amateurs de bon rap français. Pour les autres, Musik Please a prévu un cours de rattrapage. Cela faisait presque 6 ans que le MC autonome parisien n’était pas venu faire bouger les têtes des marseillais. Nous étions là pour son retour sur la scène de la planète Mars et nous en avons profité pour nous entretenir avec lui…
Dimanche 19 janvier 2014, c’est donc au Molotov que s’est déroulé La BIFFMAKER PARTY 4, présentée par Nasme (Biffmaker Prod) et animée par DJ BlaiZ’. La soirée a débuté avec un open Mic (on saluera SucreRoux pour son texte réussi sur la cité phocéenne) et les MC se sont succédés : Le groupe Never Slave Musik, RPZ (toujours aussi bon), L’Amir’Al, Gino, RedK, Nasme et Flynt. Un show hip hop comme on les aime. Bonne ambiance, bonnes vibes, divers talents. La salle était pleine, et le public a bien réagi. Un big up aux organisateurs ainsi qu’à l’accueil chaleureux du Molotov.
Flynt fidèle à sa réputation a fait bouger les têtes et ce qu’il y a dedans…
On sent qu’il kiffe ça et nous aussi. Les BGirls et les BBoys présents connaissent ses textes et le font savoir. Flynt va même jusqu’à rapper dans la foule. On a eu droit aux morceaux de « j’éclaire ma ville » et « itinéraire bis » ainsi qu’à son couplet de « Vieux avant l’âge ». Nasme le rejoindra sur scène pour « La ballade des indépendants ». Un rappel sur « Tourner la page ». Chaude ambiance. Le concert terminé, nous rejoignons Flynt dans les loges. J’enclenche le dictaphone. Début de l’interview…
Tes impressions sur le concert de ce soir ?
Bon concert. Pour un dimanche soir, y a eu du monde jusqu’au bout, jusqu’à plus d’une heure du matin, c’est pas évident le dimanche soir. C’était mon troisième concert à Marseille ce soir, le dernier c’était en 2008 je crois. Et Marseille c’est pas le public le plus « facile »… il faut aller les chercher. Mais franchement ça s’est très bien passé, les gens ont backé ma lead du début à la fin, ils sont restés jusqu’au bout, ils ont réclamé puis chanté « Tourner la page » pratiquement intégralement avec moi à la fin. Vraiment, très satisfait. Ca fait pratiquement un an et demi que j’ai sorti mon disque et j’étais pas encore venu à Marseille, ça manquait dans la tournée. Et puis ce qui est bien c’est que c’est mes potes qui organisent le concert… Grande satisfaction.
Tes débuts dans le rap ?
Ben écoute, j’ai commencé à rapper en 96, donc ça fait bientôt 20 ans. Parcours assez classique si ce n’est que je produis mes disques aussi. Le premier disque que j’ai fait c’était « Explicit Dixhuit », puis j’ai fait des maxis, un album en 2007 « J’éclaire ma ville », mon deuxième en 2012 « Itinéraire bis », des compilations aussi et j’essaie surtout de faire un maximum de concerts. Là ce doit être la trente cinquième date de la tournée ce soir. C’est pas mal pour une petite autoproduction comme la mienne. C’est plutôt une belle réussite, ça faisait partie de mon projet global en fait. La scène était intégrée à mon projet quand j’ai commencé à faire mon album, comme pour le premier. On avait fait pas mal de dates avec le premier mais avec le deuxième on en fait encore plus. Je fais du rap en grande partie pour pouvoir vivre des moments comme celui que j’ai vécu ce soir.
C’est toi aussi qui t’occupes de la distribution de tes projets ?
Non, si tu veux que tes disques soient en magasin il faut que tu passes par une distrib’. Etre indépendant c’est pas forcément un bon terme au final parce que t’es dépendant de plein de gens… disons que tu as des partenaires, dans le rap tu peux pas monter tout seul. De toute façon c’est pas intéressant de monter tout seul, mieux vaut monter avec des gens. Quand tu produis ton propre disque, il faut savoir aller chercher et coordonner des partenaires avec leurs compétences.. Il y a beaucoup d’intervenants sur un disque. Le distributeur est essentiel. Tout comme les beatmakers, les ingénieurs, le fabricant,, le graphiste, ceux qui assurent la promotion… enfin bref j’en passe mais un disque c’est vraiment une somme de compétences. Ma tournée s’appelle « la balade des indépendants », « indépendant » c’est le terme couramment employé Mais on pourrait dire que je fais du rap autonome.
Tes références dans le Hip-Hop ?
… J’aime pas trop donner des noms parce que j’en oublie toujours. Elles sont multiples outre atlantique et en France. Y’en a plein… mais tiens j’en profite,comme on est à Marseille je dirais un mot sur un groupe et un MC en particulier qui m’ont marqué à l’époque, c’est la FF et le Rat Luciano. Je l’ai découvert à ses tous premiers lyrics et c’est quelqu’un qui a une façon de rapper, un discours, un flow, une voix qui m’ont marqués… si je ne devais citer qu’une référence ce serait lui.
… On avait entendu parler d’un featuring avec le Rat. Peux-tu nous en dire plus ?
Oui un feat. était prévu pour l’album de Gino. . En fait il s’est fait il y a 5 ans On avait fait une première version avec le Rat, Gino et moi. C’était un bon morceau, moi j’aimais bien. Mais bon le temps a passé, Gino voulait changer d’instru, on a été obligé de recommencer à zéro… et le morceau se fait sans le Rat finalement. Mais je serai bien sur l’album de Gino qui va s’appeler Ground zéro. Par contre j’ai un morceau avec Akhenaton qui sort dans un mois environ pour la compilation d’un beatmaker qui s’appelle Crown. Y’a deux autres MC bien connus des amateurs de rap US dessus : Parrish Smith et Lil’ Dap de Group Home.
Mes deux prochains morceaux à venir c’est avec deux marseillais. J’ai toujours aimé et respecté le rap du sud moi.
On sent un gros travail sur tes textes, comment se passe cet « accouchement dans la douleur » ?
Mon principal problème c’est que je n’ai pas vraiment de méthode. J’ai beaucoup de mal à me lancer dans un couplet. Tout le travail de déblayage est assez difficile pour moi. Tu vas écrire des trucs pas terribles pendant plusieurs jours, plusieurs semaines, voire plusieurs mois dans mon cas. Je ne l’aime pas trop ce passage-là, du coup j’ai du mal à m’y mettre parce que je sais que je vais en baver pendant un moment. C’est vrai que je suis assez laborieux dans l’écriture, je mets beaucoup de temps. Pour le morceau avec Gino, mon couplet c’est fait assez rapidement pourtant, 2 semaines, mais j’en ai bavé au début puis tout s’est mis en place tout seul. Ecrire en ce qui me concerne c’est un long processus et c’est ce qui explique aussi le temps entre les projets, entre les albums. Ca me prend du temps, mais c’est important de soigner ses textes. Le rap est une musique où le texte prend certainement une dimension plus importante que dans d’autres genres musicaux. J’essaie de soigner mes textes le plus possible, c’est long mais c’est ce qui fait aussi mon originalité et qui fait que mon rap est ce qu’il est..
La rime qui te résume le mieux ?
C’est difficile à dire… j’y réfléchirais et je t’enverrai un mail (rire).
Il y en a énormément… je suis au plus près de ce que je pense, de ce que je ressens. Donc il y en a beaucoup.
Ton dernier coup de cœur musical ?
… tout simplement R.E.D.K. qui est passé tout à l’heure. Mortel. C’est un mec qui rappe bien, qui écrit bien. Je ne le connais pas trop, on s’est croisé 2 ou 3 fois seulement, mais ça a l’air d’être un mec bien. Tout ça ç’est important aussi. J’aime pas trop l’expression « coup de cœur », mais voilà, j’aime bien ce qu’il fait. Sinon, dans un autre registre, j’ai bien aimé l’album des Casseurs Flowters récemment. C’est frais, bien réalisé.
Pour participe aux instrus ? tu chasses le sample ?
Non, je ne donne pas de directions aux beatmakers. Jamais. Je veux ce qu’ils savent faire. Ca me parle ou ça ne me parle pas. Les gens pensent que je suis compliqué en instrus, on me dit souvent que c’est une galère avec moi. Alors que moi je ne suis pas compliqué : Donne-moi un instru qui défonce et ça va aller tout seul. Peu importe la couleur, le sample, joué ou pas, le type de beat… donne-moi un instru qui déchire et qui fait bouger la tête, c’est ça la règle. Après j’ai pas forcément un flow tout-terrain qui me permet de poser sur des instrus trop lent ou trop rapide. Il a quand même évolué depuis les premiers morceaux je pense. Mais j’ai pas le flow d’R.E.D.K par exemple qui est capable de se placer easy sur des instrus très lents ou très rapides. En tout cas je ne donne jamais de directions aux beatmakers.
On voit que tu bosses pas mal avec Soulchildren…
Oui, on se connait depuis longtemps, on s’entend bien, ils sont super forts. Personnellement, je trouve que les instrus sur « Itinéraire bis », ils sont exceptionnels et je pèse mes mots. C’est pas moi qui les ai faits hein, je les ai juste sélectionnés. Bon la sélection c’est aussi du boulot. Moi j’ai mis trois ans et demi pour trouver treize instrus. C’est long mais voilà, y’a pas un instru à jeter selon moi. J’ai travaillé avec des beatmakers de Marseille aussi, y’a Just Music qui ont fait trois instrus sur mon album. Je kiffe leur touche. La sélection ça prend du temps mais je pense que c’est essentiel. On revient à ce gimmick de « un pour la plume ex aequo avec le gros son » , il faut vraiment allier les deux : essayer de dire des choses intéressantes, bien tournées, avec des mots bien choisis, et en même temps d’avoir derrière le son qu’il faut pour que ça envoie.
Tu le vois comment l’avenir du Hip-Hop français ?
Ben écoute … il a de beaux jours devant lui je pense. Maintenant y’a des mecs qui passe sur Gulli, donc le rap français a de beaux jours devant lui.
Lors de son interview pour Musik Please , Rocé nous a dit qu’il y a autant de raps que ce qu’il y a de rappeurs. Tu partages ce point de vue ?
Si il veut dire par là que l’on ne peut pas mettre tout le monde dans le même panier, je suis d’accord avec lui. Après bon c’est humain de le faire aussi… les sportifs, les garagistes, les plombiers, les journalistes… on met tout le temps les gens d’une même corporation dans le même sac, et c’est une connerie. Donc voilà, il faut savoir faire preuve de discernement. Donc effectivement y’a autant de rap que ce qu’il y a de rappeurs. Moi je ne me revendique pas d’un courant en particulier, même si je sais que les gens aiment bien te mettre dans des cases. Ce qui est normal, y’a un besoin d ‘identifier. Mais je ne me revendique pas d’une mouvance. On pense souvent que je fais du rap conscient. Moi je ne fais pas de rap conscient pour moi ça n’a pas vraiment de sens. Par rapport au rap inconscient ? Ou alors il faudrait dire de quoi il est conscient…. Conscient qu’il peut avoir de l’influence.. ou quelque chose comme ça Il manque quelque chose derrière. Donc voilà, si je devais décrire mon rap, je dirais que je fais du rap libre, autonome et en rapport avec mon âge. Je sais pas si on peut dire du rap adulte ou d’adulte. Mais voilà, je ne me revendique pas d’un courant si ce n’est celui d’essayer de faire du bon rap.
Vers un troisième album ?
Oui j’espère. Faut que je m’organise. J’ai commencé… enfin je me suis dit que je m’y mettais, et c’est déjà bien. Après le premier album il m’a fallu deux ans pour me réveiller et me dire « je vais faire le deuxième ». Deux ans c’est long, la ça va faire presque un an et demi, et ça fait quelques semaines que je me suis dit « c’est bon, on y va ». J’ai pas d’instrus encore mais quelques titres écrits sur des bouts de papiers. Mais forcément avec ce que l’on vit actuellement avec mes potes Blaiz’, Nasme, et quelques autres… trente-cinq dates de concert c’est beau, mon objectif c’était quarante. Je suis content, on va les faire les quarante. C’était un peu ambitieux car c’était pas gagné. Mais je me suis bien organisé. Donc quand on passe par tout ça on a envie d’y retourner, c’est sûr. T’as envie de continuer. J’ai fait un morceau qui s’appelle « le dernier seize » mais c’était pas mon dernier seize. J’ai très envie de faire un troisième album et je suis curieux de savoir ce que je vais bien pouvoir raconter dedans.
Des conseils pour un jeune qui voudrait se lancer dans le rap ?
Y’en a beaucoup des conseils que l’on peut donner. Je dirais de croire en soi. C’est très important de croire en soi. Ça peut paraitre un peu con comme ça, ça peut paraître être une phrase un petit peu large. Mais moi ça a vraiment pris du sens avec mon deuxième album. Si je n’avais pas cru en moi, je n’aurais pas pu le faire. Ca été vraiment la base de tout. Bien sûr il a fallu que des gens y croient aussi, comme le public et les gens avec qui je travaille. Mais pour cela il faut que tu croies en toi. Donc je dirais ça même si pour un jeune ça n’a pas forcément de sens la tout de suite. Après, ce serait de faire grossir sa bulle, son réseau, d’aller dans les ambiances, d’écrire, de rapper, rencontrer de gens et petit à petit la bulle va grossir. Et les choses après se font d’elles-mêmes. On pourrait en donner beaucoup de conseils. Etre bien entouré, l’entourage c’est très important. Entouré de gens de confiance, de gens avec qui on s’entend bien. Faut être bien dans ses pompes, c’est le plus important. Je parlais un peu avec R.E.D.K. tout à l’heure, on parlait de son album qui va sortir en indé avec Musicast Distribution un peu comme j’ai sorti le mien. Je pense qu’il avait d’autres ouverture mais d’après ce que j’ai compris c’est ce qui lui correspondait le mieux. Donc voilà, l’important c’est d’être bien dans ses pompes, d’être bien là où t’es et de faire le mieux possible. Vivre le rap sainement et sereinement, le plus possible.
Flynt dans dix ans ?
J’espère toujours être un bon père de famille, avec peut être un ou deux enfants en plus, dans une belle maison, avec un Chrysler Voyager, sept places, long châssis, gps couleur (rires)… et puis emmener mon équipe de scène en tournée avec. Dans dix ans, c’est plutôt des projets familiaux tu vois. Etre équilibré, les enfants, famille, et puis j’espère que d’ici là j’aurais au moins sorti le troisième album. Ça va demander de l’organisation. Le deuxième c’était dur, mais le troisième je pense encore plus. Si j’ai pas une méthode d’écriture je vais pas aller vite. Il faut que j’aille plus vite, c’est mon challenge. Que j’aille plus vite, que je sois plus efficace, sans sacrifier pour autant le sens que je mets dans mes chansons.
Interview %2B Redac : Zorba /Photos : Loseou