C’est finalement Lionel – un des deux leaders des Girls In Hawaii – qui nous a accueillis dans le magnifique théâtre de la mer à Sète. Interview dans le cadre du Festival Sous les rochers, la plage.
Musik Please : Qu’avez-vous fait pendant les quatre ans qui ont suivi la sortie d’Everest?
Girls in Hawaii: Quatre ans ça paraît long, mais on n’a pas trop chômé après la tournée d’Everest. On a fait un projet d’album acoustique, il a fallu le préparer, puis on a tourné six mois. Quasiment dans la foulée on a enregistré des chansons, fait des maquettes, on s’est retrouvés en studio assez vite. Donc en fait dans notre tête, pour une fois, on a vraiment eu l’impression d’être allés vite. Et quand tu comptes, ça fait quatre ans. En fait, on est restés dans une lancée créative.
Donc, cela veut dire que vous mettez beaucoup de temps à maturer vos chansons ?
Girls in Hawaii : Oui. Je crois qu’on a eu besoin de ces deux années de vie pour retrouver les potes, la famille, écouter des trucs, ou rien écouter du tout. C’est pareil pour Antoine. Et puis il y a un moment d’ennui, je crois, de lassitude un peu, et la musique revient. Et c’est reparti, on se coordonne avec Antoine et on se retrouve six mois après avec un gros paquet de chansons, mais on s’est jamais trop forcés à écrire. On aime bien ce rythme très long, c’est une des raisons aussi pour lesquelles on est là depuis très longtemps. On ne gave pas trop les gens, je crois.
Parce qu’en fait vous êtes deux à composer, Antoine et toi ?
Girls in Hawaii : Oui, lui il fait vraiment ses chansons dans son coin, et moi pareil. Les deux univers font le son des Girls in Hawaï. C’est un coup de bol en fait, du coup on a deux fois moins de boulot !
Justement, le fait d’être six dans le groupe n’entraîne-t-il pas un compromis permanent ?
Girls in Hawaii : Si. Déjà à deux on est dans le compromis. A partir du moment où tu ne tisses pas un univers de A à Z, il y a déjà une forme de compromis. Et puis après il y en a à faire avec tout le groupe.
C’est vrai qu’on ne peut pas dire qu’il y ait un style Lionel et un style Antoine…
Girls in Hawaii : Nous on le capte, mais il y a des gens qui ne reconnaissent pas qu’il y ait deux voix. On chante tous les deux sur le disque, chacun nos chansons.
Pourquoi l’album s’est-il appelé “Nocturne” ?
Girls in Hawaii : C’est marrant parce que le titre est vraiment venu tout à la fin. Ce coup-là, on avait voulu travailler sans thème parce qu’avec Everest il y avait le thème omniprésent du décès, de l’absence, il fallait qu’on le fasse mais c’était un peu étouffant. Et donc ce coup là on s’est vraiment dit : on ne fait rien d’autre que la musique, donc on a vraiment fait ça un peu comme une peinture. Il y a vraiment ce truc d’esthétisme et puis on a trouvé cette peinture de Tom Hammick pour illustrer ce qu’on avait fait. On a nommé la pochette donc on a trouvé que ce mot “Nocturne” collait bien avec l’image.
Aussi, au tout au début de la création du disque, on a fait de l’hypnose pour se mettre vraiment dans un état de non-réflexion. En fait dans l’hypnose, tu accèdes vraiment à cet univers symbolique, que tu as dans le monde des rêves, et donc “Nocturne”, ça collait aussi bien à la musique qu’à la peinture, ça faisait aussi référence à cet état de relâchement, de créativité relâchée. Et puis le mot est joli, et ça marche dans les deux langues aussi. Et puis il y avait les “Nocturnes” de Chopin aussi, on trouvait que ça faisait cool, même si on avait un peu les boules parce que “Nocturne” des Girls in Hawaï ça pouvait sembler prétentieux.
Et comment avez-vous trouvé cette peinture de Tom Hammick ?
Girls in Hawaii : De façon hyper terre à terre. Comme tout le monde, on a passé des heures, des semaines sur Google, on avait tout épuisé, on n’avait pas d’idée précise, c’était un peu l’angoisse. Et puis on a commencé à trouver un chemin et au bout d’une centaine d’artistes on est tombé sur ce mec et on a vraiment eu un gros flash. On trouvait qu’on avait un cousinage avec lui, son univers, ce côté naïf, une espèce de mélancolie, en même temps c’est très lumineux donc bizarrement on s’est dit : “Tiens, si on avait été peintres, on aurait pu faire comme ça”.
En plus, le gars était ravi qu’on utilise sa peinture, il nous l’a offerte. C’est un artiste britannique qui vit au Pays de Galles. On voulait faire des présentations de disques dans les galeries d’art, le suivre un petit peu, et organiser ça avec lui, mais ça a été trop compliqué.
Il y a eu un petit virage électro sur ce disque ?
Girls in Hawaii : Oui. En fait on avait déjà commencé à faire ce travail sur la toute fin d’Everest, où on avait commencé à mettre des synthés, des trucs un peu plus froids, et où on a eu un goût de trop peu, et donc on a voulu continuer ce travail là, avec le même producteur, le même studio. Donc il y a quand même une espèce de continuité avec Everest, pas thématiquement, mais dans le contenu.
Et puis c’était génial parce qu’on a laissé tomber nos guitares. On a découvert tout ce parc de synthés, on est quand même des enfants des années 80, donc il y a beaucoup de choses qui sont remontées à la surface, et ça a vraiment été fun de travailler ça. Et puis ça s’inspire de ce qu’on reniflait autour. C’est un peu cette digitalisation de la musique, cette froideur… On trouvait ça intéressant, surtout que nous on était dans tout l’inverse, généralement notre style est plutôt boisé, il y a ce côté un peu branlant parfois, qu’on a sur les autres disques. Et ici c’est plus calé, c’est plus structuré et propre.
Et on va retrouver ça ce soir ?
Girls in Hawaii : Oui, mais fatalement il y aura un côté plus abrasif, le son est plus percutant. En plus on passe en revue vraiment tout notre répertoire.
Quelle est ta conception de l’indifférence ?
Girls in Hawaii : La chanson fait référence un peu à cette indifférence inconsciente que tu as… C’est ce type qui roule en bagnole, qui longe des lacs et des hôtels et des maisons. Et en fait lui est conscient, il traverse toutes ces vies où les gens dorment dans leur maison, et ils ont une forme d’indifférence à ce mec. C’est une indifférence passive quoi, involontaire. Pour ce coup-là, c’est vraiment un gimmick hypermélodique, parce que dans ce truc de “indifference”, il y a “difference”, “difference”. Le gimmick du flow, pour nous, c’est primordial.
Donc on ne commence jamais par le texte, le texte est vraiment secondaire. On donne juste quelques clefs pour avoir quelques mots, qui définissent un peu un univers, et pour nous ça a toujours vraiment le dernier petit truc à ajouter, ça n’a jamais été central. Ceci dit sur “Nocturne” ça l’a plus été, il y a plus de travail de texte. Pas sur cette chanson en particulier, celle-là ressemble plus aux vieux textes comme on faisait avant, c’est plus une description de ce qui se passe autour.
Pourquoi cette musique mélancolique, alors que vous êtes plutôt joyeux sur scène ?
Girls in Hawaii : Je crois que quand tu écris à la maison, tu es tout seul, souvent le soir, c’est beaucoup plus propice à un univers cotonneux et mélancolique. Alors que sur scène, où on a du mal à le tenir. Tu as envie de le déborder, de le mettre plus fort, d’être plus intense. Donc ça on l’a finalement débridé sur scène, mais en studio c’est de pire en pire. En plus il y a des morceaux que j’ai écrits en Islande, dans un fjord où il n’y avait rien, on n’était pas à New York quoi. Puis c’est aussi nos personnalités. Et aussi quelque part c’est devenu notre marque de fabrique.
Quel a été le feeling sur Walk ? Je trouve que cette chanson est complètement différente des autres chansons de l’album.
Girls in Hawaii : On a pas mal discuté de ce morceau, ça nous a amusés parce que c’était vraiment marrant à écrire. Du coup je l’ai fait écouter aux autres, c’était un peu surprenant, et puis finalement on s’est dit : “allez, c’est parti ! ” On va même la sortir en single. Il y a ce côté un peu provoc’, marrant, il y a eu beaucoup de réactions par rapport à ça. Et nous qui sommes toujours très prudents, c’était marrant de faire un morceau qui dénote. Il est toujours particulier à placer.
Faudra-t-il attendre encore trois ans pour avoir un nouvel album ?
Girls in Hawaii : Ça, je ne sais vraiment pas ! Ce sera peut-être plus ou moins, je ne sais pas. Il faudra un peu digérer la tournée.
D’où vient le nom du groupe ?
Girls in Hawaii : Il fallait qu’on trouve un nom. On a tout essayé, des trucs à la Pearl Jam, des trucs qui ne voulaient rien dire. Et puis on avait ce morceau, un des tout premiers qu’on avait écrits, et qui s’appelait “Girls in Hawaï”. Ce fantasme de s’imaginer ailleurs, dans un pays plus chaud, avec des palmiers, un peu ce côté fantasmé et avec du recul, on s’est dit que ça représentait pas mal la façon dont on envisageait la musique. C’est vraiment se créer un univers parfait comme ça, comme tu le désires, à ta façon. C’est une des raisons pour lesquelles on travaille comme ça. Des expériences de groupe en totale démocratie, ça ne te permet pas de tisser un univers cohérent. Donc c’est vrai qu’avec le recul, ça parle d’une idée d’une vie où tout te semble parfait, à ton goût.