Impressionnant quatrième album de Kendrick Lamar, qui continue sa promenade au sommet du rap avec le double album Mr. Morale & The Big Steppers, une oeuvre incroyablement progressiste.

Un album généreux qui commence avec United In Grief. Une vraie prise de risque musicale qui ne ressemble en rien aux variantes du rap actuel; ni drill, ni trap, ni boom bap… Ça ne ressemble à rien, si ce n’est du jazz réalisé avec une MPC gonflée sous Red Bull. Kendrick Lamar se penche ici sur ses 19 ans de carrière. Oui déjà 20 piges! Les mutations, contradictions du rappeur sont au centre du sujet de cette introduction.
La constance ?
Un vrai rappeur qui raconte des histoires vraies. C’est la seconde chanson intitulée N95 ( traduisez FFP2) sur la gestion de la crise COVID par les autorités américaines. Pas de théories extravagantes, juste un dégout.. en poésie. Une pensée morale et universelle habite l’album. Worlwide Steppers, à l’instru encore jazzy et audacieuse s’en suit. Ça parle de cloisonnement, relations inter-raciales, chacun sa bulle. Mais on y croit! L’humanité se fait pas à pas.
Un autre pallier est encore franchi pour le rappeur virtuose. Cinq ans après DAMN (son précédent album) Kendrick Lamar a eu deux enfants et a traversé une pandémie mondiale (toi-même tu sais), de quoi repositionner son point de vue. Il lui apparait difficile de se définir comme un « writer’s blocks » pour cet album Mr. Morale & The Big Steppers. Question de maturité.
La maturité ?
L’album de la maturité : une formule tellement galvaudée mais intensément vraie dans ce cas précis. Du point de vue du fond et de la forme. Father Time avec Sampha prolonge le trait.
Si Mr. Morale & The Big Steppers, est par essence un « album progressiste », Kendrick Lamar garde la tête sur les épaules et nous sert un titre radio friendly: Die Hard feat. KendrickBlxst & Amanda Reifer. Mais on a aussi droit à de bonnes vieilles interludes bien travaillées (Rich et Savior) et surtout, un des titres les plus remarquables de l’album: We Cry Together avec l’excellente Taylour Paige. Jamais une dispute de couple n’a été à ce point théâtralisée. Je ne compte pas le nombre de Fuck you! Violence conjugale et musicale. Kendrick casse les codes.
Avant de faire une pause et d’écouter le CD 2, Purple Hearts calme le jeu sur un breakbeat dowtempo avec la voix R’n’b de Summer Walker et le flow imparable de Ghostface Killah rappeur parmi les grands, et clin d’oeil au Wu-Tang Clan. Ici: spiritualité, amour (et drogue). Ce titre peut être interprété comme la réconciliation après le tremblement de terre de We Cry Togeher.
Autocritique ?
« Ne me comptez pas s’il vous plait Laissez moi sur la touche, je n’en vaux pas la peine ». Count Me Off ,dernier titre du 1er CD qui bénéficie de la même intro que le 1er titre tel un petit générique, on aime ça. Une de ces signature répétées que l’on retrouve à chaque album de Kendrick. Ici le leitmotiv de Mr. Morale & The Big Steppers est :
« I hope you find some peace of mind in this lifetime (Tell them, tell ’em, tell them the truth) I hope you find some paradise… »
On reprend les choses sérieuses avec Crown, piano-voix. « That’s what i call love.. » Une autre grande prouesse de cet album : l’amour est un vrai sujet. Transition parfaite sur l’amour propre sur Savior (interlude) le titre, enfin plutôt l’interlude savante suivante elle aussi empreinte de classicisme (cordes, violoncelle sans beat) et qui commence par une citation de Eckhart Tolle:
If you derive your sense of identity from being a victim. Let’s say, bad things were done to you when you were a child. And you develop a sense of self that is based on the bad things that happened to you
Si tu concentres ton identité sur le fait d’avoir été victime, à te répéter les mauvaises choses qui te sont arrivées quand tu étais enfant, tu développes ta personnalité sur les mauvaises choses qui te sont arrivées.

Baby Keem & Sam Dew donne du micro sur Savior et son interlude. Voici une sorte de pamphlet que l’on pourrait comparer à l’odeur de l’essence de Orelsan. Petite douceur avec le titre Auntie Diaries qui déroule la narration de deux personnes trans-genres. Mise en parallèle des intolérances raciales, sexuelles. L’homme est un animal politique et social (Platon).
Mr. Morale
Mr Morale, mais c’est qui en fait ? La réponse avec Tanna Leone en featuring sur ce titre étouffant qui évoque les abus et les personnes qui abusent, comme les abus sexuels de R.Kelly les outrances de Oprah Winfrey évoqués dans la chanson.. L’homme est un être moral (T. H. Huxley). Même si c’est un autre écrivain et philosophe qui conclut Mr Morale avec l’allemand Eckhart Tolle.
Petite cerise sur le gâteau, le featuring avec Beth Gibbons (de feu! Portishead) sur un titre qui parle là aussi d’abus sexuel (éprouvés sur sa mère en l’occurence) mêlé à une indifférence raciste et sociétale. Oui, on rigole pas trop dans cet album. Moment bien choisi pour lancer le titre Mirror et son refrain entêtant : I choose me, i’m sorry. Ego-trip et reflet déformé sur une musique qui apaise..
Si vous n’avez pas encore écouté Mr. Morale & The Big Steppers , quelques bonnes surprises vous y attendent encore comme la suite de la série The Heart (Part 5) révélé 15 jours après la sortie de l’album et ajouté en bonus track.
En dépit de son obscurité apparente, les constats amers de l’album sont ponctués par des orientations positives. L’optimisme d’un jeune père qui n’a pas d’autre choix. Prenons-en universellement de la graine. Un ‘must have’ de plus dans la discographie du rappeur.
Kendrick Lamar – Mr. Morale & The Big Steppers / 14/05/2022 (TDE – Polydor)
Funfact: Kendricl Lamar n’utilise plus son téléphone depuis des mois.(source Aout 2022)
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