Le festival Lives au Pont vient de s’achever et confirme tout le bien que l’on pensait de l’événement. Malgré son jeune âge, la manifestation joue désormais dans la cour des grands, les têtes d’affiches faisant le boulot !
Jeudi 10 Juillet : Charisme et Éclectisme
Très rapidement après notre arrivée sur les lieux, nous retrouvâmes sur scène le chimiste du Blues, de la Soul et du Funk, Keziah Jones. La technicité et l’univers du bluesman nigérian sont intacts et n’ont pas pris une seule ride. Dans un set reprenant la plupart de ses grands standards (Rythm is Love, Million Miles From Home, Free Your Soul…), le génial inventeur du BluFunk lança le festival de la plus belle des manières et invita la foule à danser et contempler le coucher de soleil de la rive droite du Pont du Gard… Il n’y a pas de doute : BluFunK Is a Fact même si on aurait pu se croire au Montreux Jazz Festival tant le set de Keziah partait dans des envolées free jazz.
Après un set aussi enjoué que professionnel, Keziah Jones laissa la scène au phénomène anglais London Grammar. D’ailleurs, ne nous y trompons pas, une grande partie du public ce soir était venue pour admirer le groupe de Nottingham. Sans véritable à priori sur leur univers mais sans engouement non plus (vous constaterez que nous avons fait l’impasse sur ce groupe dans nos pages) nous découvrîmes donc un style décomplexé mêlant avec brio Electro anglaise, pop et trip-hop.
La voix envoûtante de Hannah Reid fit de ce récital quasi lyrique, un moment agréable. Voire un moment de grâce lorsque, éloignés de la scène, nous nous sommes surpris à écouter la voix de Hannah Reid frappée contre la paroi rocheuse, vue sur le Pont du Gard. À coté, la simple réverbération d’une cathédrale apparaissait toute rikiki. C’est pour dire. London Grammar ont été à la hauteur malgré leur jeune âge. Un show mélancolique et maitrisé qui nous accompagne jusqu’à la nuit.
A noter les excellentes transitions assurées entre chaque concert par DJ Pone (Birdy Nam Nam), maintenant le public dans des conditions d’écoute et d’attention optimales. Mais le petit nuage sur lequel se trouvait le public du Lives Au Pont allait soudainement ressentir de fortes turbulences en la présence de Method Man (Wu Tang Clan) et Red Man. L’autre tête d’affiche de ce Jeudi. Les deux briscards du rap US ont fait le show en excellents maîtres de cérémonies. Les deux MC sont accompagnés de 2 DJs sans effet vidéo ni artifice particulier hormis une trentaine de bouteilles d’eau chacun (voir photo).
Method Man et Red Man ont enchainé tous leurs plus grands classiques (en solo ou en duo) partant de 1992 avec des hits du Wu-Tang au dernier album du duo; Blackout 2
paru en 2009 soit dix ans après leur classique Blackout. Ils ont aussi joué le thème de leur film How High ( Un How High 2 a même été annoncé par Redman.). Le Culte du Wu-Tang était bien présent. Les deux hommes ont d’ailleurs rendu hommage à ODB (Ol’Dirty Bastard , membre décédé du WU) avant de quitter la scène sous un tonnerre d’applaudissements mais non sans nous rabâcher un dernier mot : Les deux MC nous répètent que leur stand merchandising était là pour nous vendre des T-Shirts, CD etc.. « Don’t forget! »
La soirée continue avec le combo sudiste de Chinese Man et leur trip hop dynamité. Le groupe est accompagné de Tumi, le rappeur de Johannesburg (leader de Tumi & The Volume). Malgré un ensemble scénique imposant (vidéo, cuivres, percus), malgré un show bien plus technique et préparé que le set précédent. Le concert de Chinese Man sonne un peu creux après l’enflammante prestation des Method Man et Redman. Il faut dire que hormis le classique qui les a propulsé, les Chinese Man ne disposent pas encore d’un répertoire populaire et florissant. Quand les français font du hip hop Us, ils ont beau aller chercher les samples les plus fous de la terre que ça reste une « location de style ».. Je suis un peu dur, mais rassurez vous : le public dans son ensemble et notamment les jeunes ont été conquis par le show maîtrisé de Chines Man et Tumi.
Nous terminons cette soirée de jeudi très curieux de découvrir ce que le label de James Blake 1-800 Dinosaur avait à nous proposer. Ça tombe bien, James Blake aussi est de la partie, assis, là, derrière ses potos qui envoient des vinyles. Sans doute des productions du label. A l’arrivée nous sommes en face d’un simple set à 3 DJ (James Blake, Dan Foat et Airhead) qui prennent place chacun leur tour. On se croirait avec eux, dans une chambre à coucher de banlieue anglaise. Un soirée entre geeks de la bass music et de Detroit. Leur set part dans une ambiance binaire, lunaire et outrageusement minimaliste. Un peu déçu de ne pas avoir entendu chanter James Blake, nous rentrâmes à la voiture laissant la place au clubbers venus secouer leur body sur Tim Paris..
C’est toute la force et la bizarrerie de ce festival. Réunir des papas fan de blues, des ados groupies, des ménagères de moins de cinquante ans, des quadras fans de hip hop et de ganja et enfin les retardataires venus pour fouler le dancefloor jusqu’au bout de la nuit.
Vendredi 11 Juillet : les patrons ont fait le boulot !
Vendredi, deuxième et dernier jour du festival Lives Au Pont. Faisant l’impasse sur La Femme nous arrivons à l’heure ou sonne l’alerte. Un sirène retentit pour annoncer l’appel des intermittents du spectacle. Un quinzaine de travailleurs de l’ombre interpellent le public concernant le statut attenant à leur profession. Un discours certes très politisé.. Mais on préfère ces modes d’action là à l’annulation pure et simple de l’évènement. Le public applaudit. « The Show Must Go On » avec Metronomy qui vient pour la deuxième fois à ce festival. (Voir notre Lives Au Pont Report de 2012).
Joseph Mount, le chanteur de Metronomy chouchoute cet endroit si particulier, « It’s our favorite place in France » dit-il. C’est pas tous les jours qu’on joue devant le plus grand aqueduc romain conservé du monde, un édifice vieux de plus de 2000 ans, on peut comprendre le sentiment de privilège qui habite les artistes venant fouler la scène du festival Lives Au Pont. C’est la deuxième fois que Metronomy se produit sur cette scène (concert de 2012).
Metronomy est déjà entré dans l’histoire de la pop avec seulement 2 albums. Love Letters le troisième et le plus intimiste en date nous est décliné ce soir sous une forme assez fidèle à sa version studio. Le groupe a donc rajouté quelques incontournables à son répertoire. Reservoir, Love Letters, I’m Aquarius. Ajoutés ces derniers aux tubes de English Riviera, Metronomy offre un show maitrisé mais un peu moins strict que lors de leur tournée précédente. Le groupe renforcé de deux musiciens a tenu la mesure avant d’annoncer Phoenix et se retirer avec classe. Le concert de Metronomy est disponible dans son intégralité sur ARTE Concert: http://concert.arte.tv/fr/metronomy-au-pont-du-gard
L’attente autour de Phoenix était clairement palpable, la foule se fît de plus en plus dense au fur et à mesure que les minutes avant le show s’égrainaient. Voir les versaillais en Live dans leur version « festival » équivaut à se prendre une grosse claque (du batteur, quitte à prendre le plus costaud de la bande). Nous avions déjà savouré ce moment l’an dernier lors du Paléo Festival de Nyon et, avec une prestation quasi-similaire dont le très efficace « Entertainment » en guise d’intro, nous avons tendu l’autre joue sans rechigner. La richesse du répertoire de Phoenix leur permet d’aligner chaque titre sans douter de son effet jubilatoire auprès du public (1901, Listomania, If I Ever Feel Better…) et là est la force du plus grand groupe (pop-rock-electro) de l’hexagone. Thomas Mars est toujours aussi surprenant de justesse et de maîtrise, son allure dandy ne fait pas le moine tant le chanteur aime se jeter dans la foule pour y puiser une énergie omniprésente durant l’intégralité de leur set. Phoenix fait du rock et nous encourageons ceux qui en doutent à aller les voir sur scène !
Dernière sensation de la soirée: Todd Terje. Le scandinave y joue son album « It’s Album Time » presque au pied de la lettre. A l’instar des sets de Breakbot, Justice ou Daft Punk, Todd Terje déroule. Pas de platine, pas d’erreur possible avec ce type de matériel et de prestation somme toute, linéaire. Le DJ accompagnent souvent ce type de live avec des vidéos, des équipements scéniques stylisés.. Mais pas Todd Terje. Pas de fioritures. Le son et rien que le son.. Irréprochable pour le coup. Ainsi il envoie les titres electro, disco, pop de son album, mais le tout manque de relief et de surprise, c’est un peu figé. Mais ne faisons pas les fines bouches.. Il est difficile de ne pas remuer du pied. L’ambiance chaleureuse est funky.
Les grands écarts de la programmation de Lives au Pont 2014 laissent encore à penser que le festival se cherche une identité. Un deuxième scène plus intime serait la bienvenue. Mais, le lieu, son cadre (irréprochable) le limite physiquement à une seule scène, imposante qui plus est. Certains artistes s’expriment mieux dans une ambiance plus confinée, dans une atmosphère plus « club », dans un line up moins speed.
Mais on préfèrera se réjouir de ce mélange, de ce rassemblement une fois de plus provoqué par la musique. Le Gard, Avignon, Marseille, Paris étaient présents. Des âges, des gouts, des ruraux, des urbains, des rurbains, des publics différents réunis dans la douceur de l’endroit. À l’année prochaine sans aucun doute. Lives Au Pont s’impose un peu plus comme un des grands rendez-vous de l’été.
Photo © Michel Ribes & Co