Si vous pensez que la gente féminine suédoise est exclusivement blonde et que l’attrait scandinave se résume au physique, prenez garde… Lykke Li risque de vous faire tomber de haut ! Certes, la demoiselle est charmante ! Mais après l’écoute de « I Never Learn », il est fort probable que ce soit vos oreilles qui aient du mal à s’en remettre…
Indice de satisfaction : 78 %
Lykke Li sort donc son troisième album en l’espace de 6 ans. En 2008, alors âgée de 22 printemps, la jeune prodige avait marqué les esprits avec « Youth Novels », fresque spontanée révélant sa voix douce et sucrée. Inégal sur la longueur mais doté de quelques titres aussi innovants qu’attachants, le disque apportait une fraîcheur bienvenue et prometteuse.
En 2011, c’est « Wounded Rhymes » qui voit le jour. Un titre évocateur d’une tonalité globalement marquée par le changement. Si le rythme s’avère toujours de mise, l’ambiance s’ancre dans une certaine gravité et devient plus pesante. A peine 3 années se sont écoulées depuis le premier opus et pourtant le « Love is the harmony/ desire is the key » que la belle susurrait de sa voix rêveuse sur le morceau introductif semble bien loin déjà. Lykke Li a vécu et grandi, son insouciance s’est émaillée : « Sadness is a blessing » chante-t-elle désormais. Mais ce que sa musique a perdu en candeur, elle l’a incontestablement gagné en cohérence et profondeur. Et d’ailleurs le succès suit. Explose même. Grâce à un titre, le fameux « I Follow Rivers ». Remixé par le DJ belge The Magician, le morceau va cartonner dans les boîtes du monde entier.
Inespérée, la reconnaissance investira même le septième art par l’apparition de la chanson dans deux bandes originales de film. Celle du viscéral « De rouille et d’os » de Jacques Audiard (version de l’album) puis celle de la dernière palme d’or de Cannes, le charnel et controversé « La vie d’Adèle » d’Abdellatif Kechiche (dans une version alternative). A noter enfin qu’une reprise remarquable des burnés et ô combien sympathiques belges de Triggerfinger occasionnera également un petit retentissement (mérité) dans la sphère rock.
2014, c’est avec la précision d’un métronome suédois, que Lykke Li dévoile « I Never Learn ». Après cette déferlante glorieuse à peine digérée, on pouvait s’interroger sur la manière dont la jeune artiste allait aborder l’exercice périlleux du 3ème album. La réponse est simple : en restant authentique et en reprenant sa lancée là où elle l’avait stoppée. Ce nouvel opus s’inscrit dans une logique de continuité, sans intention commerciale particulière. Le succès n’a pas monté à la tête brune de la chanteuse qui, imperturbable, poursuit son investigation sur la vie et sur elle-même, de façon toute aussi humble et franche. Comme elle l’expliquait dans une interview donnée au
Monde, ses disques « sont la chronique d’une femme explorant le désir, l’espoir, la honte, la colère, la culpabilité, la nostalgie ». De fait, c’est cette palette de sentiments, d’émotions, qui affleure sur « I Never Learn ». La chanteuse s’est encore assagie. Elle a muri et le prouve dès les premières notes de l’album, sur le titre éponyme où sa voix est posée, l’orchestration fluide et soignée. Le travail de Björn
Yttling son fidèle comparse depuis « Youth Novels », producteur aux multiples facettes (Franz Ferdinand, Primal Scream…) et par ailleurs pilier du groupe « Peter Bjorn et John », n’est certainement pas étranger à cette retenue qui lui sied à merveille. Et si le tempo s’est ralentit, la magnitude de son interprétation s’est quant à elle déployée.
Lykke Li n’a plus besoin d’en faire beaucoup voire trop, péché mignon de ses débuts. La mélodie minimaliste et mélancolique du piano de « No Rest for the Wicked » suffit amplement pour mettre sa voix expressive et nuancée en exergue. C’est probablement dans l’épuré qu’elle se révèle la plus convaincante.
Succession de ballades, le disque ne s’enferme pas pour autant dans la redondance ni l’ennui. La jeune suédoise vit ses chansons, met de l’intensité et du cœur dans sa voix à laquelle l’instrumentation apporte une complémentarité souvent judicieuse. Sur « Gunshot », la voix et la batterie se jouent d’un écho limpide. Si la première est prépondérante, la seconde, de par ses touches impulsives et breakées, insuffle un dynamisme lumineux
http://www.youtube.com/watch?v=1SP-PgW7U1M
A l’inverse, « Love Me Like I’m Not Made Of Stone » est porté intrinsèquement par la voix. Une voix mise en avant, sans aucun artifice et au travers de laquelle on perçoit toute la vulnérabilité et le désespoir douloureux de la chanteuse. D’une production très abrupte, le morceau surprend mais paradoxalement illustre au plus juste la vocation de l’album et l’état d’esprit avec lequel sa conceptrice l’a appréhendé. Lykke Li fait preuve d’une audacieuse introspection qu’elle livre sans détours avec l’auditeur (« There is a heart I cannot hide »). Elle le touche en lui véhiculant ses propres émotions.
Après un instant aussi poignant, la tension retombe et il faut le reconnaître, dans une certaine mesure le charme aussi. Les trois derniers morceaux sont certes de bonne facture mais plus convenus. A l’instar de « Heart of Steel » dont le refrain repris en chœur ne brille pas particulièrement par son originalité. L’écoute en demeure en outre plaisante, essentiellement grâce à la personnalité vocale de la demoiselle.
En 33 minutes et quelques 9 chansons, Lykke Li a confirmé une nouvelle fois et de fort belle manière qu’elle possédait élégance et talent. Mais avant tout, en évitant l’écueil de la facilité, en persévérant dans ses primes et intimes aspirations artistiques, elle a surtout prouvé qu’elle possédait la force d’un caractère bien trempé. Et à lire la raison quant à son choix du titre pour l’album : « L’artiste ne fait
que chercher, il n’apprend pas », on se plait à croire que son leitmotiv n’est pas prêt de changer.
Que ceux qui se sont fait mal ne viennent pas se plaindre… on vous avait prévenus que vous tomberiez de haut !
Betty