A l’occasion de leur double actualité autour de leur album Let Go, nous avons eu le plaisir d’interviewer Matthew Caws, le leader du groupe Nada Surf. Une exclusivité MusiK Please.
Let Go, Donald Trump, Popular, Benjamin Biolay ou encore l’avenir du groupe, les sujets furent nombreux et toujours traités avec justesse par ce grand monsieur du rock américain.
MusiK Please : Comment cette double actualité autour de Let Go a-t-elle germée ? L’une est-elle la conséquence de l’autre ?
Matthew Caws : Pas exactement.C’est notre manager qui a suggéré les deux choses. Pour la tournée, on a dit : ¨pourquoi pas ? 15 ans c’est peut-être le bon moment”. De plus, nous n’avons pas de nouveau disque. On comprend bien que c’est l’album préféré de nos fans, donc pourquoi ne pas le célébrer ? Pour le disque de reprises, au départ nous étions contre, car ce n’est pas très élégant d’organiser un album tribute pour soi même.
Pour nous convaincre, notre manager a suggéré que les profits soient reversés à deux organisations caritatives américaines d’importance : D’une part, l’ACLU, qui protège les droits civils des citoyens américains, et en ce moment, il faut vraiment les soutenir. D’autre part, la fondation Pablove, qui aide les enfants atteints de cancers. Dans ces conditions, nous avons estimé que c’était une bonne idée et c’est vrai que je voulais entendre ces reprises. Elles sont vraiment bien, je suis donc très content de ce disque.
Qui a sélectionné les artistes pour ce projet ?
Matthew : Ben, notre manager avait quelques idées. J’en ai apporté d’autres, comme Ron Gallo dont je suis fan, Aimee Mann, ou encore Ed Harcourt, qui est un vieil ami du groupe. Donc, c’est un peu une combinaison d’amis et de gens que l’on ne connaissaient pas.
Es-tu quelqu’un de particulièrement engagé, au niveau caritatif ou autre ?
Matthew : Je suis plutôt un progressiste politiquement, donc je suis toujours ouvert sur mes opinions. J’essaie d’utiliser mon influence culturelle qui est petite, on n’est pas un gros groupe. Mais pour ce que ça vaut, je mets mon vote dans le chapeau. Après, je n’ai pas créé une organisation caritative non plus. Je fais cela quand je peux.
J’imagine que ce qui se passe chez vous depuis un an ne doit pas vraiment te réjouir…
Matthew : (Ton grave) Non, c’est horrible. Tu sais, j’essaie d’écrire des chansons et en ce moment et je n’ai pas trop envie de parler de moi-même. Et quand je pense à la société américaine et où l’on en est politiquement, c’est dur à en parler parce que c’est si inouï, improbable et tragique. C’est vraiment comme vivre dans un très bon film, mais qui est un cauchemar. J’ai vraiment peur… Je crois que les Etats-Unis sont un cas spécial, car il est possible chez nous de ne pas penser au monde extérieur. Beaucoup de citoyens n’ont pas une vision globale du tout. Cela va faire complètement cliché mais les gens chez nous pourraient porter des Levis, fumer des Marlboro, conduire une Ford, regarder des films de Tom Cruise, vivre en autarcie quoi !
On oublie que l’on est un pays jeune, une démocratie jeune et que l’on a une chance énorme. Aucune guerre, à part Pearl Harbor, n’est venue chez nous depuis notre guerre civile. Du coup, nous ne sommes pas vraiment dans la réalité. Tu peux te dire “Oui, c’est bien qu’il hausse le ton avec le leader de la Corée du Nord, c’est bien qu’un américain parle de façon dure.” C’est possible d’y croire si on ne lit pas certains journaux ou si l’on n’est pas conscient de la diplomatie. C’est facile de ne pas savoir ou de ne pas chercher à savoir.
Surtout que l’on a des médias qui sont horribles. Tu sais, on a une chanson qui s’appelle The Fox et qui parle de Fox News. J’en parlerai tout à l’heure sur scène, mais à ce point là, c’est vraiment de la propagande. J’ai vraiment peur que le tissu social aux Etats-Unis ne commence à se défaire…
Sans transition, en France la plupart de vos fans considèrent Let Go comme votre meilleur album. Est-ce le cas partout et trouves-tu cela normal ?
Matthew : Oui, c’est le cas partout. Je suis d’accord et cela est basé non seulement sur l’opinion de tout le monde, mais aussi parce qu’il y a, je crois, plus de thèmes clairs sur ce disque. En général, nos chansons sont existentielles, mais aussi vagues, peu précises. Alors que si tu prends une chanson comme Inside Of Love par exemple, c’est une chanson traditionnelle dans le sens où le message est clair : Je veux savoir ce que c’est que d’être à l’intérieur de l’amour. Et je n’arrive pas souvent à écrire comme cela.
Et penses-tu t’être plus livré sur cet album ?
Matthew : Non, je pense que je donne toujours la même chose et parfois j’ai plus de chance. Peut-être aussi que ma vie était plus dramatique à cette période. Cela a dû influencer les chansons et je crois que le drame affecte les gens.
Ma vie personnelle déjà était plus tendue car je n’étais pas vraiment en couple. Alors que pour The Weight Is a Gift, j’avais un nouvel enfant, pendant Lucky j’étais avec quelqu’un. Et sur You Know Who You Are, j’étais en train de nouer une relation avec ma femme actuelle. Donc, ça affecte les gens quand on cherche l’amour, on est un peu plus dans le monde… J’invente, peut-être ce n’est pas vrai, je ne sais pas. Sur le plan professionnel, les choses étaient difficiles également. En tout cas, la mélancolie vient du côté personnel, je pense.
Tes chansons préférées sur Let Go ?
Matthew : Il y en a trois. Treading Water, je ne sais pas trop pourquoi. Elle parle de flotter dans l’eau, sans savoir où l’on va, ni ce que l’on fait. C’est un peu l’état dans lequel j’ai passé la plupart de ma vie, donc cela me semble familier et honnête. La deuxième, c’est Inside Of Love, bien sûr, pour les raisons que j’ai évoqué tout à l’heure. La troisième, c’est Fruit Fly, car c’est la chanson que j’ai écrite le plus rapidement. Dans la chanson, ça dit que je suis assis seul dans la cuisine et que j’ai vu un moucheron.
C’est ce qui s’est passé en réalité : j’ai pris ma guitare, j’ai allumé le magnéto, j’ai chanté et joué pendant 5 minutes … et là dedans, il y avait toute la chanson. Mais c’est la seule fois, cela ne m’arrive jamais. (rires)
https://youtu.be/WEqOWXZTgK4
Popular vous a très vite apporté un succès commercial très important. Comment gère-t-on l’après ?
Matthew : Les deux ou trois ans qui ont suivi, c’était OK. Tu sais, on a perdu notre contrat et on a cherché un autre label. Certains nous disaient “Si on fait un disque avec vous, vous pourriez faire une version acoustique de Popular ?”. Puis, pendant quelques années, la presse nous qualifiait toujours du “groupe qui a fait Popular”. Je ne suis pas en colère contre ces choses, c’est la vie. C’est bien d’avoir un tube, ça aide. Mais aussi, après ça peut être pesant. Malgré tout, j’adore cette chanson, je la trouve très drôle.
Quelques années après, le public indé américain ne voulait plus l’entendre car elle ne représentait pas ce qu’ils aimaient en nous. D’un autre côté, on n’a jamais eu d’autres tubes comme ça et maintenant le public est content de l’entendre. Elle a pris sa place dans notre carrière. Mais dans les 2 ou 3 ans après sa sortie, quand on la jouait, la situation était presque inconfortable car les gens avaient un peu de pitié pour nous. c’était le syndrome du One Hit Wonder. D’ailleurs, nous en sommes un, mais nous avons fait d’autres choses aussi…
Existe-t-il des bandes perdues de votre collaboration avec Benjamin Biolay ?
Matthew : Oui ! On a fait une version de La décadanse de Serge Gainsbourg, qui n’était pas très bonne. Mais pas à cause de lui, cela venait probablement de moi. On avait aussi fait Rockcollection de Laurent Voulzy. Mais parmi les trois chansons enregistrées, L’aventurier d’Indochine était la meilleure. Aussi, on l’a mise sur l’album qui est sorti en France.
Pourquoi êtes-vous passé d’un trio à un quatuor ?
Matthew : On y avait jamais pensé, mais Doug (Gillard) était quelqu’un dont j’étais fan, j’adorais son jeu de guitare. Un soir après un concert, il est venu vers moi et m’a proposé ses services pour jouer sur l’un de nos disques. J’ai dis cool, on faisait justement notre disque de reprises. Il a joué des parties de guitares si bonnes qu’on n’a pas voulu les jouer sans lui sur scène. Il est donc venu sur la tournée suivante et c’était un fait accompli après ça. Sur cette tournée, nous avons aussi Louie Lino qui joue du clavier. Il a participé à tous nos disques et c’est un luxe de l’avoir.
Votre prochain album sera-t-il influencé par cette tournée Let Go ?
Matthew : Oui, peut-être bien. On développe un son plein et luxueux sur scène. C’est possible que cela puisse influencer les choses. Pour l’instant, j’ai juste composé des chansons tout seul, mais nous n’avons rien travaillé ensemble.
Un grand merci à Lola et à Richard pour leur aide !