La vocation de Sharon Van Etten ne souffre d’aucun doute : chanteuse à la voix mirifique, multiinstrumentiste, elle écrit, compose et coproduit même certains de ses disques dont ce dernier « Are We There ». Comme Sharon Van Etten nous l’a confié (Sharon Van Etten: Interview) peu avant la sortie de l’album Are We There «Ecrire, chanter est ma catharsis». Au vu de la charge émotionnelle de ses chansons, on ne peut que la croire !
Indice de satisfaction : 89 %
Voilà maintenant 5 ans que Sharon Van Etten nous ouvre les portes de sa raffinée sphère musicale. Et malgré les galères tout comme la relative confidentialité de son parcours, l’américaine continue inlassablement à se jeter corps et âme dans son art, avec sincérité et virtuosité. En 2009, elle sort son premier album « Because I Was In Love », folk mélancolique, un brin électrique, porté par sa voix habitée d’émotions. Une année plus tard, c’est « Epic » qui parait. Sobre également, le disque révèle une facette plus rock de la jeune artiste. Puis « Tramp » voit le jour en 2012, sous la houlette d’Aaron Dessner du groupe The National. Ponctué de multiples collaborations dont celle de Zack Condon, chanteur et tête pensante de Beirut, l’album concrétise surtout une remarquable osmose entre folk et rock au travers desquels Sharon évoluait jusque-là. Avec cette œuvre tourmentée et superbe, elle semble avoir trouvé sa voie (céleste). La suite s’esquissait donc sous les meilleurs auspices.
La suite, la voici justement avec « Are We There » dans les bacs cette semaine. Comme de coutume, Sharon évoque son propre vécu dont elle en aborde un sujet particulièrement sombre, celui de la douleur dans la relation amoureuse. Peut-on imaginer titre de chanson plus cruel que « Your Love is Killing Me » ? Et pourtant aussi lestée la thématique soit-elle, Sharon Van Etten fait don d’un disque lumineux. « Afraid of Nothing », le premier extrait, s’ouvre sur quelques notes de piano accompagnées d’une guitare et d’une section cordes sur fond de laquelle résonne une distante touche de percussions. Une ambiance soyeuse se tisse, une sorte de tension toute en retenue émerge avant que la batterie ne vienne pondérer ces quelques 2 minutes d’apesanteur. Et puis il y a cette voix crépusculaire, empreinte de justesse et d’intensité. Le disque débute à peine qu’il emmène déjà loin. Plus sobre, la version guitare/piano dernièrement jouée dans une église londonienne envoûte tout autant.
S’ensuit le premier single du disque, « Taking chances », dont la richesse instrumentale confirme l’évolution de l’artiste. Le folk dépouillé des débuts semble soudainement appartenir à une autre époque, désormais l’organique se mêle d’électronique pour un résultat diablement angéliquement efficace.
Le diaphane « Our Love » s’enveloppe également d’un subtil mélange électrique/électro où s’insinue plus tardivement les rondeurs souples de la basse. Sur cet écrin vaporeux se pose la voix de Sharon, toute de douceur et de délicatesse. C’est cette même voix, mais d’une teneur toute autre, qui transcende « You Know Me Well ». Impossible de rester insensible lorsque Sharon Van Etten clame son effroyable «You know me well/You show me hell». L’accompagnement n’est pas en reste puisqu’en écho d’une guitare languissante, la batterie impulse une relative lenteur qui n’apporte que plus d’intensité et de relief à la chanson. Magnifique…
Au-delà de la qualité intrinsèque des compositions et de leur interprétation, la grande réussite de « Are We There » réside dans sa production, aérée et limpide. L’instrumentation est souvent dense mais le résultat ne s’en prévaut pas moins de fluidité. A l’image de l’orgue et des bois résonnant sur « Tarifa », la musique de Sharon s’est considérablement étoffée depuis ses débuts. Une évolution qui dessert au mieux sa voix en lui offrant une dimension à la valeur de son éclat. A l’inverse, la simplicité du piano/voix de « I Know » rappelle que le minimalisme de ses premières années lui suffit amplement pour être touchante. En dépit du pessimiste des paroles (« And then you push me out, I know. I know »), le chant demeure expressif et radieux.
A l’instar de Lykke Li qui a fait de « I Never Learn » une œuvre personnelle et sincère (chronique ici), Sharon Van Etten poursuit le conte de sa vie en s’appuyant sur sa musique. Une musique qui comme elle grandit et murit. De par sa richesse et sa profondeur, « Are We There » est une réussite dont chaque nouvelle écoute apporte son lot de découvertes et d’émerveillements. L’artiste américaine y enfonce un peuplus le clou de son talent avec lequel elle mériterait d’accrocher bien haut le portait du succès…
Betty