Sharon Van Etten : INTERVIEW
À quelques jours de la sortie de son nouvel album « Are We There », la chanteuse américaine à la voix angélique Sharon Van Etten a accordé une interview à Musik Please. Sharon Van Etten Elle évoque notamment son approche artistique, ses influences, son besoin vital d’écrire et chanter. Et comme sur ses disques, c’est avec simplicité et sincérité qu’elle a répondu à nos questions.
L’interview est aussi disponible en version originale ici.
MusiK Please: Revenons tout d’abord à l’album « Tramp », réalisé dans des conditions particulières : à cette époque vous étiez particulièrement démunie et le disque a été produit par Aaron Dessner qui l’a enregistré chez lui. Comment avez-vous vécu cette période plutôt difficile ?
Sharon Van Etten : – Ce fut une période particulièrement dure pour moi car j’étais encore en tournée pour l’album « Epic ». Je n’avais pas de domicile et j’investissais tout mon temps libre dans l’enregistrement du disque. J’étais exténuée.
MP: Ce disque fut remarqué par les médias qui soulignèrent les nombreuses collaborations dont il fit l’objet, notamment celle de Zack Condon du groupe Beirut. Etait-ce un choix motivé ou le fruit du hasard des rencontres ? « Are We There » sera-t-il également porté par diverses contributions ?
Sharon Van Etten : J’ai collaboré avec Zach Condon lorsque je dépendais du label BaDaBing. Nous sommes devenus amis. Les doutes artistiques tout comme ceux de la vie nous ont rapprochés. La chanson qu’il interprète évoque le fait d’être gagné d’une crise de panique. Je pensais qu’il esquisserait parfaitement le ressenti de cette situation. C’est est un chanteur incroyable doublé d’un grand talent pour les arrangements. Pour l’album « Are We There », j’ai voulu me focaliser sur mon groupe. Nous avons tourné plus de deux années ensemble et aujourd’hui nous avons une relation privilégiée basée sur la confiance, la compréhension et le respect. Autant de conditions indispensables pour travailler en studio.
MP: Vous avez par ailleurs travaillé sur la BO de la série « Boardwalk Empire ». Cette expérience vous a-t-elle plu et pensez-vous la renouveler si l’occasion se présente ?
Sharon Van Etten : Ce fut une expérience incroyable. Lorsque j’arrivais dans les studios Avatar de New-York, un orchestre entier m’attendait pour que je chante avec lui ! Stewart Lerman est vraiment adorable, c’est un plaisir de travailler avec lui. Il était encourageant et constructif avec des suggestions pertinentes. Les journées ont défilé.
MP: Pour « Are We There » vous co-produisez l’album avec Stewart Lerman. Vous aviez déjà participé à la production de « Because I Was In Love », votre premier album : est-ce important pour vous de travailler à la réalisation de votre musique ?
Sharon Van Etten : Je crois que si j’écris mes chansons, je me dois d’être impliquée dans la façon dont je veux qu’elles soient travaillées et retranscrites. Toutes mes chansons sont écrites avant que je n’entre en studio. Les personnes avec lesquelles j’ai travaillé sur les précédents albums m’ont aidée à choisir lesquelles garder et appris à insuffler exactement ce que je souhaitais véhiculer par mes chansons. J’ai encore beaucoup à apprendre mais je me suis améliorée.
MP: A un jour près, votre 4ème album « Are We There » sort tout juste 5 années après le premier. Cette productivité est-elle le reflet d’un grand besoin créatif ?
Sharon Van Etten : J’ai écrit les morceaux de mes 3 premiers albums au cours de ces dix dernières années. J’écris en permanence. Je pense que de nos jours un artiste devrait sortir un disque tous les deux ans, dans la mesure du possible. J’ai conscience que c’est conséquent mais pour ma part j’ai beaucoup de chansons et je prépare un album dès que je pense disposer d’un ensemble de morceaux marqués d’une cohérence et d’un lien entre eux.
MP: Sur « Taking chances », le premier extrait mis en ligne, l’atmosphère se révèle nettement moins folk, moins « brute » que sur « Tramp », avec entre autres la présence d’électronique. Ressentiez-vous le besoin de faire évoluer votre musique en l’étoffant instrumentalement ?
Sharon Van Etten : J’aime expérimenter et j’écoute de la nouvelle musique continuellement. Je suis par exemple fan de « Glass Candy » et « Air ». Je ne tiens pas à me cantonner dans l’écriture répétitive des mêmes morceaux sinon quel serait l’intérêt de sortir un nouvel album ?
MP: Vous écoutez le groupe « Air » ? Connaissez-vous d’autres artistes français ?
Sharon Van Etten : J’écoute le groupe « Daltonians ». Julie est un amour. Et puis bien sur les grands classiques Piaf et Gainsbourg.
MP: En dehors du mouvement électronique, quels sont les genres musicaux que vous écoutez tout particulièrement ?
Sharon Van Etten : J’apprécie toutes sortes de musique : punk rock, soul, grunge…,
MP: Y a-t-il des artistes dont vous êtes tout vraiment fan ? Et/ou qui vous ont particulièrement influencé ?
Sharon Van Etten : Je suis fan et inspirée par Torres, Doug Keith, Heather Woods Broderick, War on Drugs, Damien Jurado, PJ Harvey, Nick Cave, Bob Dylan, Orchestral Manœuvres in the Dark, Pylon, The Bats, The Clean, Karate, Cate Le Bon, Speck Mountain, Gate…
MP: Dans votre démarche artistique, on pense notamment à Elliott Smith. A-t-il constitué une source d’inspiration pour vous ?
Sharon Van Etten : J’ai effectivement grandi en l’écoutant. Je pense qu’il est bien meilleur auteur que moi. Il écrivait des paroles particulièrement allusives. Don que personnellement je ne possède pas.
MP: Comme toujours votre voix est empreinte d’intensité. Est-ce le vécu des paroles qui donne une telle charge émotionnelle à vos chansons ?
Sharon Van Etten : Ecrire, chanter est ma catharsis. Ce n’est pas quelque chose que j’essaie de faire, c’est simplement naturel. Et j’écris toujours à propos de ma vie personnelle. Cela m’est très salvateur.
MP: A l’image des deux premiers morceaux proposés sur votre page, vos clips sont particulièrement soignés. Accordez-vous une grande importance à l’esthétique visuelle de votre musique ? Vous investissez-vous dans le script et/ou la réalisation des vidéos ?
Sharon Van Etten : Les deux clips ont été réalisés sans gros moyens, avec l’aide d’amis. Ils ont des idées étonnantes et sont extrêmement talentueux. Je n’ai donc rien d’autre à faire que de les suivre.
MP: Vos passages en France sont rares et se limitent à une date parisienne. Vous vous produisez d’ailleurs le 28 mai au Café de la Danse puis dans quelques capitales européennes avant de repartir pour l’Angleterre et les Etats-Unis. A-t-on une chance de vous revoir ensuite pour une série de dates françaises ?
Sharon Van Etten : Nous travaillons actuellement sur l’éventualité de quelques dates supplémentaires en France, avec un peu de chance, elles seront programmées plus tard dans l’année. Croisez les doigts !
MP : À quelques jours de la sortie de « Are We There », comment vous sentez-vous ?
Sharon Van Etten : Je suis extrêmement fière et en même temps extrêmement nerveuse.
Betty et Mike Ribes. Traduction : David MOURIQUAND