Nick Halliwell a sorti avec The Granite Shore un petit trésor de pop anglaise. Et nous n’avons pas pu résister au plaisir de lui poser quelques questions.
Nick Halliwell est à l’image de sa musique : So British ! Plein d’humour, il nous a parlé de sa passion et aussi de son label, occultation, qu’il a crée pour diffuser sa musique. Et tout cela en français, s’il vous plaît !
Musikplease : – Nick, vous sortez votre premier album avec les Granite Shore. On sent pourtant de l’expérience et du vécu derrière Once More From The Top. Est-ce exact ?
Nick Halliwell : – Oui, mais c’est vraiment “derrière”. C’est le premier album de The Granite Shore mais je fais cela depuis longtemps. Par contre l’album n’est pas autobiographie : comme un romancier ou un dramaturge, j’ai pris des éléments de la vie, mais non seulement la mienne… il y a des histoires racontées par des amis, des choses que j’ai lues, vues ou entendues, … Il y a certains éléments de mon propre vécu mais assez peu et, en tout cas, il ne s’agit pas d’un “album à clef”.
MP : – Comment avez-vous constitué votre super groupe ? racontez-nous votre rencontre avec Probyn Gregory.
Nick Halliwell : – Je joue avec mes copains. Mike Finney, Steve Perrin, Arash Torabi, Mike Kellie et moi nous sommes les membres actuels de The Distractions. J’ai produit le premier album de Factory Star en 2011 alors j’ai demandé à Martin Bramah de contribuer. Phil Wilson a joué sur le deuxième single de The Granite Shore en 2010 et depuis lors j’ai produit deux singles pour The June Brides. Je connais Bella Quinn depuis son enfance car son père Ged est un ex-membre de The Wild Swans (et aujourd’hui un peintre connu). En fait le seul participant que je ne connais pas personnellement c’est Probyn, qui habite en Californie, où il travaille beaucoup avec l’autre Monsieur Wilson (Brian) mais il avait travaillé sur Flood of fortune (le deuxième single de The Granite Shore susmentionné, 2010). C’est un autre ami musicien, Henry Priestman (Yachts, It’s Immaterial, Christians), qui m’a mis en relation avec lui. Il joue beaucoup d’instruments, ce monsieur, et il est super sympa, alors on est devenu amis “virtuels” – En fait on a des enfants de plus ou moins le même âge.
MP : – Aviez-vous une idée bien précise de ce que vous vouliez obtenir au moment d’enregistrer avec tout ce beau monde ?
Nick Halliwell : – Oui. Je préfère travailler rapidement dans le studio – nous avons enregistré 12 chansons en deux sessions de 5 heures chacune – et cela n’est possible que si les chansons sont bien structurées et tout le monde connaît son rôle. Il faut de la discipline, quoi… Sur ce disque c’est de Phil que j’ai demandé le plus : il joue dans un style complètement différent du sien et le fait à merveille. On n’a pas répété avant les sessions alors voilà, on arrive le matin, on fait les prises de son de base et puis on joue la première chanson pour la première fois ensemble dans le studio. Ce qu’on entend sur l’album dans la plupart des cas c’est la troisième ou quatrième fois, et nous n’avons jouée Recorded Sound qu’une seule fois. Comme cela on reste concentré, on a tout juste le temps de se retrouver avec chaque chanson, puis on passe à la suivante. Après, bien sûr, je travaille là-dessus dans mon studio personnel, mais la base est toujours cela: la troisième ou quatrième fois qu’on joue la chanson ensemble.
MP : – Avez-vous un album étalon, une référence absolue ?
Nick Halliwell : – La motivation devrait être l’idée que personne n’a encore fait cet album qu’on cherche depuis toujours, même si on n’y arrive jamais… Enfin, en termes de la composition des chansons et production, l’étalon d’or pour moi a toujours été ABBA, mon premier amour musical. Au fait, avant de commencer l’album, j’ai donné des exemplaires de The Singles – The First Ten Years à Phil et à Arash. Dans les interviews on demande souvent “quelles sont tes influences ?” et quand je mentionne ABBA on dit “mais ce que tu fais n’a rien à voir avec les suédois !” Eh ben, justement ! C’est cela la différence entre être influencé et copier. Les meilleurs disques sont ceux où, la première fois que tu les écoutes, tu te dis “je n’ai jamais entendu quelque chose de pareil – ça vient d’où ? ” Tout le monde a des influences – c’est cela la culture – mais il faut les reconfigurer, les faire filtrer par ses propres idées et expériences. Donc quand quelque chose m’influence je cherche à le prendre de ma façon, et d’en faire quelque chose de différent.
MP : – Votre album raconte l’histoire de la vie d’un groupe. C’est un rêve de jeunesse que vous concrétisez ?
Nick Halliwell : – Sur la pochette il y a deux citations de grands auteurs anglais. Le premier, de Chaucer, parle du temps qui passe et qu’on ne peut jamais rattraper si on n’en profite pas. Le deuxième, d’Ian Hunter (avec sa permission), dit “I wish I’d never wanted then/What I want now twice as much”. Et voilà. On court encore après quelque chose d’insaisissable. Ce n’est pas que je “concrétise” les rêves d’enfance – et surtout d’adolescence – mais ils y sont pour beaucoup; c’est un album qui parle justement de comment ces rêves se matérialisent (ou pas) et comment on les adapte à la réalité (ou pas). C’est pour cela que je voulais faire un album narratif mais réaliste. C’est-à-dire pas une fantaisie dans une terre mythique et magique, avec des sorciers, des pouvoirs surnaturels, etc. J’ai essayé de faire un disque qui fonctionne sur plusieurs niveaux: c’est à l’auditeur de décider jusqu’à quel point il veut aller.
MP : – D’où vient le nom du groupe (le rivage de granite en français) ?
Nick Halliwell : – Cela vient d’un poème de T.S. Eliot intitulé Ash Wednesday.
MP : – Vous portez beaucoup de soin à vos pochettes d’album (deux pochettes différentes pour le CD et le vinyle). Etes-vous en résistance contre la dématérialisation de la musique ?
: – Bon, une partie curieuse du caractère national anglais c’est qu’on est aussi fier de certaines de nos défaites que de nos victoires, si on perd “bien”. Le fait qu’une bataille soit perdue n’est pas une raison pour l’abandonner – on peut encore affecter l’avenir en luttant jusqu’à la fin. On nous accusera peut-être de faire comme le Roi Knut qui essayait d’arrêter les vagues de la Mer du Nord… Moi je ne pense pas en termes d’être “en résistance” contre la dématérialisation de la musique, mais bon, enlever le côté matériel de notre musique l’amoindrirait, car la présentation – matérielle et immatérielle – en est une partie intégrale. On n’apprécie pas la musique sans contexte et nous on essaie de façonner ce contexte, voilà. Il faut se poser la question de ce que c’est qu’un disque. Le mot anglais, “record”, est lié à des notions complexes de laisser une trace, de mémoire. Pour moi c’est carrément un artefact : du côté physique, il y a le disque lui-même ; puis il y a la pochette dans son aspect tactile, voire olfactif ; et puis il y a l’art sur cette pochette, le côté visuel. Du côté immatériel il y a la musique, mais aussi tout le contexte. Donc pour nous un “record” fait appel à tous les sens humains et surtout à la mémoire. Si on résiste à quelque chose c’est l’idée – insultante, d’ailleurs – que le public est trop stupide pour comprendre quelque chose de complexe, qu’il faut leur donner des chansons banales et ne pas compliquer les choses avec des concepts. À mon avis le public – et le nôtre en tout cas – n’est pas bête. Pareil pour les médias : il n’y a pas grande-chose à dire sur la plupart des disques aujourd’hui : “euh… 10 chansons, c’est assez bien fait… euh…” Je pensais que si on faisait un disque qui disait quelque chose, il y aurait des gens qui comprendraient. Il est intéressant de noter que les deux pays qui ont le mieux accueilli l’album sont les États-Unis et la France. On nous dit que c’est “très anglais”. Et ben, j’aime toujours les oeuvres qui ont un sens du lieu de création donc c’est un compliment.
MP : – Vous êtes également le patron de votre propre label. Pourquoi cette démarche ?
Nick Halliwell : – Ce n’est pas vraiment une démarche choisie. Il faut comprendre que les majors ne s’intéressent pas à des gens comme nous – et ils ont parfaitement raison, on ne rentre pas dans leur logique, qui est surtout commerciale. Soyons clair : on ne monte pas un petit label au siècle XXI pour gagner du fric, c’est plutôt un moyen efficace de s’en débarrasser. Au fait l’album de The Granite Shore parle, justement, des motivations des musiciens de notre génération, vu que la plupart n’ont aucune possibilité de vivre de leur musique. OK, il est possible pour certains groupes de se réunir et de gagner de l’argent en faisant des concerts car les gens payeront encore pour aller voir des concerts, mais il faut avoir été assez connu et en tout cas de nouveaux disques ? Oublie-le. Il faut vraiment vouloir – ou devoir – le faire. Occultation est né en 2008 parce que j’avais de l’argent, pour une fois dans ma vie, et je ne pouvais pas ne pas le faire. Donc c’est cela, le fait de travailler sans avoir peur de perdre de l’argent, qui nous a permis de construire une esthétique.
MP : – En dehors des membres de votre label, quels sont les musiciens dont vous vous sentez proches ?
Nick Halliwell : – Ben, comme je dis, on travaille dans notre coin, mais nous collaborons avec d’autres labels dans le monde entier – surtout avec Fishrider (NZ), mais aussi Slumberland (USA) pour les June Brides et Once More From The Top sort en France au mois de juin, le premier fruit d’une collaboration avec Microcultures. On a bien sûr des amis dans d’autres groupes et il y a un véritable esprit de communauté – les petits labels nous ne sommes pas des concurrents. C’est cela Occultation: on travaille ensemble, et Once More From The Top en est la preuve.
MP : – Bill Pritchard nous disait que ce doit être horrible d’être célèbre. Qu’en pensez-vous ?
Nick Halliwell : – Il a sans doute raison mais ça m’étonnerait que ça devienne un problème !
MP : – Comptez-vous jouer votre album sur scène ? Rêvons un peu : Une date à Paris ?
Nick Halliwell : – Je ne dis pas “non” mais ce serait difficile. Moi j’ai un boulot, une fille de quatre ans, le label et mes propres disques à faire et c’est pareil pour les autres membres. Par exemple, là je travaille sur le prochain album de The Distractions, que nous allons enregistrer au mois de septembre, puis nous avons une co-sortie avec Fishrider, du groupe nouvelle-zélandais, The Shifting Sands, et le nouvel album de The Revolutionary Army of the Infant Jesus, tous deux prévus pour l’automne. C’est beaucoup de travail, tout cela. Puis si on allait jouer cet album sur scène il faudrait le faire d’une certaine manière… Tout comme il a fallu présenter le disque avec une pochette qui a coûté une fortune et même un livret avec les premiers exemplaires du vinyle. Je ne sais pas si on pourrait le jouer sur scène d’une façon “normale” : Quatre mecs qui jouent ensemble c’est la base du disque mais ce n’est pas tout. Enfin, je ne dis pas “non” et en France volontiers, c’est un pays que je connais très bien, où j’ai beaucoup d’amis et où le disque a été très bien accueilli.
MP : – Et pour terminer, y a-t-il des musiciens français qui vous inspirent ou que vous souhaiteriez rencontrer ?
Nick Halliwell : – J’ai beaucoup de disques français : Gainsbourg, Barbara, Brel, Léo Ferré, etc. j’espère ne pas rencontrer ces gens-là pour l’instant car j’ai encore du travail à faire dans ce monde…