The Performers s’est prêté au jeu de l’interview pour Musik Please afin d’évoquer son troisième album “Ocean Garage”.
Projet d’un seul homme contrairement à ce que son nom l’indique, The Performers distille une musique oscillant entre clarté pop et passages sombres et atmosphériques. Pour son troisième album “Ocean Garage” sorti à la mi-décembre, Davis Borras a opté pour la lumière avec une pop électronique chatoyante mais toujours teintée d’une profonde mélancolie. Exilé entre l’Ecosse et l’Espagne, ce Marseillais d’origine discret derrière ses machines s’est posé quelques instants pour répondre avec précision et humour aux questions de Musik Please.
Musik Please : “Ocean Garage” est ton troisième album, quel regard portes-tu sur ton parcours musical ?
The Performers : Cet album conclut la “trilogie des palmiers” comme on l’appelle. Ça ressemble à une avancée vers la lumière, comme en témoignent les pochettes. Sur “Ocean Garage”, il n’y a plus d’instrumentaux de 7 minutes comme c’était parfois le cas sur les disques précédents. Les titres sont de plus en plus courts et de plus en plus pop. Normalement, un artiste commence par faire de la peinture figurative et il va vers l’abstrait, non ? Là, c’est l’inverse. C’est donc un parcours régressif quelque part.
Tes sorties sont espacées dans le temps, est-ce un long processus de création ou des contraintes matérielles ?
The Performers : Les deux premiers albums sont sortis en 2008 (“A Homemade Stereo Recording”) et 2010 (“Summer and a Reservoir”), ce qui était plutôt un bon rythme. Après ça, j’ai continué à faire de la musique mais sans avoir véritablement l’intention de la publier. Donc oui, il y a comme un trou dans ma discographie. Puis, c’est Olivier Rigout (AlterK / Pschent) qui a écouté ces nouveaux titres il y a quelques mois et qui m’a dit banco.
Au niveau de la composition et des instruments, tu fais tout tout seul ou fais-tu appel à des musiciens extérieurs ?
The Performers : Oui, je compose et enregistre tout seul. D’où une certaine lenteur effectivement. Pour cet album, j’ai utilisé quelques synthés analogiques, un sampler, basse et guitare électriques, quelques effets et puis toujours ce bon vieux G4 avec des plug-in et compagnie. Il y a aussi deux voix féminines sur l’album cela dit (sur “City Girl” et “Concrete”). Et Kid Francescoli y a mis les mains à la fin. Je n’ai pas non plus fait le mix ni le mastering… J’étais donc seul mais pas complètement esseulé non plus.
Tu vis aujourd’hui à Madrid après pas mal d’années en Ecosse, et ton nouvel album propose une musique plus colorée, c’est l’influence de l’Espagne, du soleil ?
The Performers : Non, parce que tout a été composé et enregistré en Écosse ! Ce que j’ai écrit récemment en Espagne est bien plus “dark”. Mais je ne sais pas s’il y a un lien avec le décor dans le style de musique composée, même un lien paradoxal.
Ton collègue marseillais Kid Francescoli a collaboré sur certains titres, a-t-il participé à ce versant plus pop de ta musique?
Oui, carrément. Je lui ai envoyé les titres les plus pop pour qu’il y mette sa patte, une touche électro. “Okno” par exemple était très différent au départ, bien plus martial et osseux. C’est comme s’il y avait mis des amortisseurs et refait la carrosserie : il est désormais prêt à voyager. Mathieu (Hocine, Kid Francescoli) est une des très rares personnes à qui je peux envoyer mes démos sans embarras. Je pense que sans lui et Hawaii Fantome, qui s’occupe du visuel, tout ça ne sortirait pas de ma chambre.
Ta musique a quelque chose de très cinématographique, est-ce une volonté ?
Non, ce n’est pas vraiment une volonté. Mais je regarde effectivement beaucoup de films et je dois en être imbibé.
Le magnifique “Some” ou “Les baigneuses” sont très parlants dans ce sens…
Merci car ce sont peut-être mes deux titres préférés… J’ai fait ça dans un état de tension considérable. Il s’agissait d’aller à l’encontre du rythme cardiaque et de ralentir au maximum le tempo. C’est un très bon souvenir.
L’utilisation que tu fais de ta voix, très en retrait, donne une ambiance assez onirique, est-ce une démarche voulue ?
Au départ, ça doit être de la pudeur. La voix en retrait, un peu réverbérée, ce n’est ni plus ni moins qu’un arrangement. Cela dit, elle l’est de moins en moins car ces “pop songs” requièrent un autre traitement. Mais c’est effectivement une question centrale. Quelques décibels en plus ou en moins, un effet ou pas et on change presque de style musical, de bac de disques.
D’où te viens ton obsession pour le japon avec des sonorités que l’on retrouve sur “Okno” ou “Heavy” ou sur la pochette du disque ?
Ça doit d’abord être visuel, graphique. Et puis les deux premiers albums sont sortis sur des labels japonais. Il y a donc eu cette heureuse coïncidence. Quant à la pochette, c’est Hawaii Fantome qui l’a faite et je ne lui avais donné aucune indication. C’est dire comme on se comprend. Par contre, musicalement, j’aurais du mal à voir un lien : les thèmes de “Okno” et “Heavy“ résonnent pour moi presque comme des mélodies enfantines. Peut-être que ça vient de la B.O de la Scoumoune (par François de Roubaix) ou de certains dessins animés… des choses qui m’ont marqué quand j’étais minot.
Il n’y a absolument rien de péjoratif, bien au contraire même, mais il y a quelque chose d’une autre époque dans ta musique que je situerais dans le tournant fin 90’s/début 2000 (surtout dans les titres plus planants) ? Es-tu d’accord et si oui comment l’analyses-tu ?
Quand tu dis fin 90’s je pense à Grandaddy ou Sparklehorse, alors oui c’est possible, tu as raison. Ce n’est pas pour raconter ma vie mais à cette époque (tournant des années 2000) je vivais dans une petite ville du centre de l’Italie. On parle d’une période pré-internet, il n’y avait ni médiathèque, ni disquaire indé en ville, il n’y avait même pas Bernard Lenoir à la radio, bref j’étais vraiment déconnecté. Et surtout, je ne faisais pas de musique, pas encore. Peut-être qu’inconsciemment ça me travaillait, je ne sais pas. La musique que je découvrais fortuitement et au compte-goutte à cette période a dû m’impressionner profondément car j’étais une sorte d’état prénatal.
On dit souvent que les disques écoutés pendant la composition d’un album l’influencent, qu’écoutais-tu pendant l’élaboration d'”Ocean Garage” ?
Suicide, Bowie, Kurt Vile, Smog, Lucio Battisti, MF Doom, Cluster, Tame Impala ; ce sont les premiers noms qui me viennent, en vrac. Des choses que j’ai écoutées pendant une période significative, voire en boucle. Il n’y a pas vraiment d’unité apparente, et peut-être que ça s’entend sur l’album. Mais, plus que les disques écoutés, ce sont peut-être certains moments musicaux, des épiphanies, qui m’ont marqué, et ont peut-être marqué le disque aussi : telle musique entendue dans tel endroit, avec telle personne. Ou à la radio, sur telle route, face à tel paysage. Bref ce sont des agencements inattendus. Il y a eu quelques “magic moments”, nocturnes et cinétiques, et souvent liés à la musique électronique. Ça doit être un peu ça : essayer de retrouver sur la longueur d’un morceau ou d’un disque quelques secondes qui semblent avoir été vécues au ralenti. Et je me rends compte que ça doit répondre également en partie à ta question sur le cinéma donc.
Récemment tu nous expliquais avoir pas mal de compositions sous le coude dans un registre plus sombre, d’autres projets sont-ils à venir ?
Oui, la face B d’Ocean Garage qui devait au départ être un double album. Sa face sombre est prête. Enfin, quand je dis prête, ça peut aussi prendre mille ans ! Mais j’ai aussi d’autres pop songs que j’enverrais bien à Kid Francescoli quand il aura 5 minutes.
Quel regard sur scène marseillaise musicale très active du moment en tant qu’expatrié ?
Je les aime bien tous. Certains sont même des amis, ça me rend donc heureux. J’ai quitté Marseille pile au moment où les choses ont pris corps et qu’ils ont commencé à avoir du succès. Je suis un peu le William Ayache de la pop dépressive (ancien footballeur international ayant évolué un an à l’OM lors de la saison 1987-88, soit juste avant le doublé 1988-89 et le faste des années Tapie).