Pour son deuxième album “Big Fish Theory”, Vince Staples fait s’entrechoquer rap et dance music dans un disque aussi novateur que risqué.
De tous les jeunes alchimistes du rap US “alternatif” (Tyler, Earl Sweatshirt, Joey Bada$$…), Vince Staples est vite apparu comme le plus cérébral. Le plus conscient pour reprendre un terme qui date en la matière. Questions sociales, raciales ou sentimentales se mêlent dans ses paroles imagées et sombres depuis son premier EP “Hell Can Wait” en 2014. L’excellent premier album “Summertime 06” (2015) et le tout aussi réussi EP “Prima Donna” (2016) ont confirmé la tendance et permis au Californien de se bâtir vite fait une solide réputation.
Mais avec son deuxième véritable long-format “Big Fish Theory”, il pourrait aussi se placer comme le plus aventureux. Si le discours reste le même, c’est l’aspect musical qui se trouve ici en pleine mutation. En s’attachant les services de beatmakers à ranger au rayon électronique comme Zack Sekoff, SOPHIE, Flume ou Jimmy Edgar, Staples annonce vouloir livrer sa vision de l’afro-futurisme et s’éloigne du hip-hop de ses débuts.
https://youtu.be/q4Z72nM5MwI
Pas de déguisements à la Sun Ra ou Afrika Bambaataa ici mais un disque très influencé par la scène techno. Du “dance-rap” ou “rave-rap” comme l’a qualifié dernièrement Pitchfork. Plus proche des expérimentations des Jungle Brothers avec la house au début des 90’s que d’une collaboration avec Bob Sinclar. Une tentative de crossover qui pourrait – peut-être – mal vieillir mais la preuve d’une véritable audace. C’est le risque.
Le rappeur de Long Beach vient donc piocher allègrement dans tout ce que la scène électronique peut offrir. A commencer par l’Angleterre dès l’énorme morceau d’ouverture “Crabs In The Bucket”. Malgré un featuring discret de Bon Iver (comme beaucoup d’autres sur l’album), il doit beaucoup à la scène UK Garage / Dubstep dans ses beats, le flow rapide du MC accompagné de nappes planantes et la voix féminine de Kilo Kish.
Un sample d’interview d’Amy Winehouse sur “Alysson Interlude”, la présence là aussi minimaliste de Damon Albarn sur le dansant “Love Can Be”, l’influence anglaise est patente. Avec une rythmique quasi jungle et des infrabasses, “Homage” surprend et fonctionne lui aussi.
Produit par SOPHIE et Flume, “Yeah Right” est probablement le titre le plus avant-gardiste d’un disque qui l’est déjà beaucoup. Sur un beat métallique et saccadé marqué par un refrain répétitif et une parenthèse dance, c’est Kendrick Lamar qui débarque avec son flow toujours aussi électrique malgré le rythme chaotique. Seuls “Big Fish”, “745”, “Rain Come Down” ou le pourtant très électronique single “BagBak” pourraient être taxés de hip-hop “traditionnels”. “Party People” renvoie plutôt aux origines du rap de Bambaataa qui déjà samplait Kraftwerk.
A seulement 24 ans, Staples tente énormément de choses pour son deuxième long-format qui s’annonce très clivant. “Quand on joue le Vince Staples c’est 2029” plaisantait-il récemment. La postérité jugera.